Les yeux gris fixés sur sa tasse de café, celle-ci lui ayant froidement été servie il y a de cela moins d’une minute, se détournèrent un instant pour cette fois fixer la rue. Les gens passant nonchalamment, les mecs louches et d’autres, pressés, passant en bousculant deux ou trois personnes. Il ne pouvait se lasser de les regarder. Ces prisonniers qui n’en avaient rien à foutre de l’être. Un soupir traversa ses lèvres, alors qu’il releva la tête pour fixer la serveuse – d’à peine 18 ans – qui n’était pas fichue de lui apporter son petit déjeuné. Saloperie.
Il avait reçu il y a deux jours un appel pour du boulot. Une femme voulait le rencontrer pour, il s’en doutait, l’engager et éliminer un indésirable. Il avait bien entendu accepté l’offre. Du travail ne lui ferait pas de tord. Son appartement lui coutait – et il le savait – bien trop cher, mais il ne pouvait se résoudre à le changer. C’était pareil pour la drogue. Une dépense excessive de trop dont il ne pouvait se défaire. Ce contrat le sortirait un peu de la merde pour ce mois-ci. N’étant jamais en retard, il avait décidé de venir manger sa brioche en face du parc, pour être certain de ne pas se pointer et la manquer. Il était ainsi. Prévoyant, certes, mais surtout très empoté. Ce parc – aussi beau soit-il resté malgré Venise – il le détestait. Non pas pour les amoureux qui s’y retrouvaient toujours. Un peu pour ça, mais surtout parce qu’il se trouvait si loin de chez lui. En y venant, aujourd’hui, il s’était arrêté trois fois, s’assoyant comme un endormi, en grognant. Marcher. Son pire cauchemar. Il détestait tant de choses, c’était un fait, mais se rendre à ce parc était bien ce qu’il haïssait le plus profondément. Ça, et ne pas avoir sa brioche.

Heureusement, la petite revint enfin, en s’excusant – c’était la moindre chose, un peu plus et il partait en retard. C’est donc en mordant l’esprit tranquille dans son pain chéri qu’il pénétra dans le parc, en cherchant des yeux la blonde qu’on lui avait décrit. Était-elle facile à reconnaitre ? Certainement, oui. Entre les amoureux se pressant les uns contre les autres et les vieux admirant le paysage, il vit tout de suite cette femme qui sortait du lot. Belle, oui mais encore, provocante. Il n’aurait pu en avoir une seconde ainsi. Ou en tout cas, pas dans ce parc. Elle était certainement tout le contraire de lui. Il passait plutôt inaperçu comme homme banal, habillé simplement avec sa brioche toute chaude à la main. Il la salua d’un sourire. Comme il le faisait avec tout le monde. Un mince sourire qui accompagnait ses yeux dans le plus doux des visages. Rien à faire, il n’aurait certainement jamais l’air d’un tueur. Jamais.
Venant s’asseoir à côté d’elle, il regarda distraitement sa montre, en constatant qu’il était pile à l’heure. Relevant les yeux, il la regarda calmement, son sourire s’étant effacé, mais son visage ne pouvant décidément pas afficher un air différent.

« Je suis Luciano. »

Il se contenta de simples présentations, se doutant qu’elle comprendrait. En même temps, il ne donnait jamais son nom complet, pour cause de sécurité. Bien qu’encore là, donner son vrai prénom était un risque. Ville de merde.
Il approcha la brioche de sa bouche, mordant dedans à pleine dents. Il avait le mérite d’être calme, c’était un fait. Comme s’il ne s’agissait là que d’un rendez-vous entre amis, ou encore une simple tâche de routine. Il aurait même pu y ajouter « Ah, quel beau parc » que tout aurait été naturel. Sa voix rappelait celle des animateurs d’émissions pour enfants. Douce, posée et lente. Malheureusement, il ne s’adresserait pas à elle en l’appelant « les amis » et ne se mettrait pas à débiter des débilités sur le temps qu’il fait aujourd’hui. Trop ridicule. Trop peu professionnel. Déjà qu’il frôlait déjà la blague…