Venise, Cité des Doges,
4 Décembre 2195, 3:27 a.m
La ville flottante de Venise, s'était assoupie depuis bien longtemps maintenant et laissait ses rues aux foulées discrètes de quelques irréductibles du sommeil. Un pas, puis un autre, sur le pavé froid et humide des berges. Un frottements de vêtement.
Un bruissement métallique. Une étrange lueur reflétée sur les murs par la pleine lune. Le silence... profond....
« Aïe, tu m'as marché sur le pied ! »Toutes les têtes se retournèrent en même temps, l'index devant la bouche.
« Chhhhhhhhhut »
A nouveau le silence. C'était pesant. Cette tension était pesante. Encore quelques secondes comme ça et j'allais à nouveau ouvrir ma grande bouche.
« Bordel, Matt', tu veux nous faire repérer ou quoi ? »
Les fixant, je levais les bras en signe d'abdication. J'avais pas d'excuse et je ne voulais pas envenimer les choses. J'étais jeune et insouciant à cette époque. Oui, je suis le « Matt' » en question. Ne cherchez pas plus loin, c'est un diminutif. Et le gars qui m'engueule ? Simplement le chef de cette mission. Je le connaissais bien en plus. D'habitude il ne me parlait pas ainsi. On déconnait la plupart du temps. Enfin.... quand je sortais de mon « trou » comme il aimait si bien le dire. Mais ce soir, il était particulièrement sur le qui-vive. Tout le monde à vrai dire. C'était pas l'envie de lui répliquer fermement qui me manquait mais quitte à se fricoter, ça serait après la mission. Je sentais que j'allais encore plus attiser la tension qui régnait dans le groupe si jamais j'ouvrais ma bouche pour dire autre chose que des excuses.
« Pardon, pardon... » chuchotais-je.
La marche reprit. Les armes claquaient un peu. Cela faisait du bruit. La tension était toujours palpable. Malaise incontrôlable qui nous forçait à rester concentré au moindre bruit. Le cœur battait à toute allure dans nos cage thoracique. Cette impression de l'entendre, cette volonté de le faire arrêter pour qu'il fasse moins de bruit ne nous quittait pas à chaque pas que l'on faisait pour avancer d'une nouvelle case.
Marcher à découvert, n'importe quoi. C'était vraiment une idée débile, surtout qu'on risquait de se faire avoir à n'importe quel moment.
Et malgré ça, tout le monde était attentif. Tous sauf un.
Dans notre monde c'était marche ou crève. Dans notre société, dans cette ville particulièrement. Mes yeux bleus scrutaient avec lenteur les fenêtres. Un sniper pouvait être là. Qui sait si les « autres » étaient présents et au courant de cette opération.
Un souffle, un reflet dans l'eau calme du canal. La main sur la gâchette, j'attendais. Il ne faisait pas chaud et pourtant la sueur menaçait de couler sur mon front. C'est dans ces moments là que l'on aime son bandeau.
Un léger sourire. Qu'est-ce qui me prends de sourire à un moment pareil !? La situation était pour le moins peu comique. Il fallait que j'arrête mes bêtises et que je me concentre.
Et malgré ça, tout le monde était attentif. Tous sauf un.
Tendus et crispés, la respiration en accélération, nous avancions en silence. Je n'aimais pas ce silence. C'était trop... calme pour moi.
Un doigt sur la gâchette, il attendait. Il attendait que nous passions.
Une cible.
Une balle.
Un homme qui tombe.
Un ami qui s'éteint.
C'était une mission banale. Ce fut un tir banal. La balle du beretta siffla dans l'air vers la fenêtre obscure. Un écho assourdissant, un mort de plus. Un ennemi en moins. Mes yeux bleus avaient vu juste. Lui n'avait pas une cette chance. C'était mon ami. Maintenant il n'est plus. Je ne savais pas si je devais pleurer. Les larmes sortaient toutes seules. J'aurai voulu crier.
Un bruissement métallique. Une étrange lueur reflétée sur les murs par la pleine lune et le silence... profond....
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Venise, Cité des Doges,
Année 2194
« Bon les gars, je vous présente Matt', il sera avec nous désormais pour casser la figure du Parrain ! »
Mon arrivée chez la Talpa di Fuoco. J'avais 19 ans. Les membres de cette société à peine organisée ne donnaient vraiment pas l'impression d'appartenir à une quelconque mafia. Des jeunes, des moins jeunes, des gens pour qui les combats ne sont pas inscrits sur le front, des gens normaux quoi. C'était vraiment étonnant. Surtout pour moi.
« C'est Matteo, pas « Matt'. » fis-je agacé.
« Ok, comme tu veux Matt'. »
Quel type agaçant. Je n'aimais pas les types dans son genre.
Cela fait peut-être bizarre de dire ça mais ce coup d'Etat, je ne l'ai jamais vu d'un bon œil. La ville à feu et à sang. Du pur délire. Depuis quand un mec sortit de nul part et qui ne se montre jamais pouvait prendre Venise en un claquement de doigt. La Famille non plus ne le voyait pas très bien. Oui, MA Famille originelle. Celle par qui j'ai été envoyé pour entrer dans la Talpa di Fuoco et aider la « résistance » si on pouvait appeler cela comme ça reverser le dictateur qui avait transgressé les fondements de la mafia en foutant la ville dans une terreur perpétuelle. Tout le monde le savait. Je m'en foutais.
« Allez, dis bonjour quoi, fait pas le timide ! »
Une main se posa sur mon épaule. Je la retirai vivement. Je n'aimais pas tellement les contacts. J'avais l'habitude de me méfier de tout le monde. Après tout, quel était le pourcentage de malchance qu'il y ait des agents doubles ici ? J'observais les personnes en face de moi. Ils avaient l'air de n'être que peu convaincu. Je haussai les épaules, je m'en fichais après tout. Je me mis en position. Bras dans le dos, regardant loin devant moi, je dis d'une traite :
« Matteo Mariani. 19 ans. Envoyé de Sicile. J'espère que ma venue vous aidera dans votre lutte. »Cela faisait vraiment lèche-botte mais c'était le seul moyen de laisser une bonne impression. Tout le monde restait interloqué alors que le rire de l'énergumène à côté de moi se laissait entendre dans la salle.
« T'es un comique toi ! Allez, pas la peine d'être stressé, on va pas te manger. Allez viens je vais te faire visiter. »
Il me prit par l'épaule. J'étais de la même taille que lui. Peut-être un peu plus grand. Pas la même carrure non plus en y regardant de plus prêt. J'étais tout menu par rapport à lui, mais lui avait déjà beaucoup plus d'années que moi. J'étais sûr qu'avec le temps cela allait s'arranger. On aurait dit des opposés. Mes cheveux étaient aussi blonds et longs que les siens étaient noirs et presque court. Nous portions tous les mêmes genres de vêtements. Treillis. Enfin, moi j'aimais porter ce genre de truc. C'était simple à enfiler, un t-shirt en dessous et le tour était joué. Ce mec s'habillait d'une manière hyper simpliste qui contrastait avec son statut. Fringues de civils. Enfin, il fallait bien en porter pour sortir et mener une vie "normale" après tout non ? Chemise et jean. Simple, efficace. Passe-partout.
Nous étions tellement différent que c'était à se demander si j'allais bien m'entendre avec lui.
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3 Décembre 2194, 10:49 p.m
Il n'arrêtait pas de parler. Pas moyen d'en placer une. Moi qui aimait la solitude, j'avais pas une minute pour travailler mes armes. Pas une seconde tout seul sans qu'il ne vienne m'enquiquiner. Oui ça fait un peu solitaire vu comme ça mais c'était ma nature. Et je n'allais pas changer pour lui, loin de là.
Les jours, les semaines, les mois passèrent sans que je ne me rende bien compte de ce qui nous connectait lui et moi. Toujours à me chercher la petite bête, moi toujours à lui rendre la pareille. Était-ce vraiment ce que l'on appelait communément de l'amitié ?
Je ne sais pas.
« Allez Matt' sors de ton trou un peu. C'est pas bon pour te yeux de rester bloqué avec si peu de lumière. Viens on va sortir draguer un peu. »
« Non merci. J'ai du travail. »Je parlais peu. Pas mon habitude. Et c'était l'éducation que j'avais reçu en Sicile : « Moins tu en dis, mieux tu te porteras ». Ou encore « La parole est sacrée ».
Je n'étais pas spécialement attiré par la gent féminine, ni masculine d'ailleurs. Et draguer, quelle occupation c'était vrai. Cela ne m'intéressait pas. J'avais peut-être juste peur de m'attacher après tout.
La lumière de ma vieille lampe de bureau éclairait à peine mon visage. Fin, ovale. Tout ce qu'il y avait de plus banal. Je n'avais pas le poids des années sur la tête. J'avais le visage fin, un air neutre affiché en permanence même si je ris à la moindre occasion de titiller quelqu'un. Les lèvres minces qui ne tirait jamais un sourire tant que je suis concentré sur le travail. Mes gants de cuir étaient un peu grand pour moi et mes petits poignets mais cela m'était égal. Cela protégeait. Je n'étais pas maigre, juste ce qu'il fallait. Pas trop musclé non plus. Je n'aimais pas faire du sport. La seule musculature que je m'étais construite était celle que je me faisais au fur et à mesure des missions et entrainement bref aux tirs. Il fallait bien un peu de force pour retenir les "retour" des armes à feu n'est-ce pas ? De toute façon personne ne le voyait. Donc je m'en fichait.
Je ne levais pas mes yeux de mon travail. C'était minutieux, je ne voulais pas le laisser en plan pour des loisirs futiles.
« Oh d'accord monsieur le misanthrope, je te laisse à tes petits chéris. »
La porte claqua. Et le silence revint hanter mes épaules pas assez larges pour supporter cette solitude que je veux sans la désirer réellement.
Cela avait toujours été comme ça. Cela ne faisait pas longtemps que j'étais entré dans la mafia sicilienne. Cela ne se résumait qu'à des escroqueries économiques envers divers notable de la régions, pots-de-vin et autres magouilles sans oublier trafic d'armes mais aussi de cocaïne en provenance de France. Pas de quoi rencontrer des combats ou autre.
Non. J'ai juste eu une "proposition que je ne pouvais pas refuser".
Un père sur la paille qui se foutait royalement de sa progéniture, une mère qui ne s'en sortait plus et croulait sous les dettes par les taxes imposées et moi, le petit dernier, doué en informatique et qui avait réussi malgré une connexion internet qui laissait à désirer, à hacker l'ordinateur personnel d'un chef de clan de la mafia de la région.
Ils avaient débarqué chez moi. Ils m'avaient presque enrôlé de force. J'avais 18 ans et pas d'autre vie à me faire.
Quel était l'intérêt de croupir alors que je pouvais servir quelqu'un ou quelque chose avec mes capacités ? Syndrome de Stockholm ? Peut-être. Je pense que j'ai été tellement conditionné que je me suis mis à aimer les valeurs morales de cette organisation.
Petit je n'étais pas aimé par les autres. Je ne savais pas pourquoi. Mais j'avais trouvé un moyen de servir à quelque chose et que ce soit dans le banditisme ou non cela m'importait peu. On avait besoin de moi, peu importe où c'était je prenais mes affaires et partait où on me l'indiquait.
Un an tout au plus que j'avais passé avec eux et ils m'avaient envoyé à Venise dans le but d'aider les "insurgés" contre le mec qui ne bossait pas dans l'intérêt de ma société. Le monde des affaires et moi... cela faisait deux. Mais je n'y faisais pas attention. Ce gars qui se disait "parrain" ne respectait pas les fondements et les codes de bases de la mafia.
J'allais lui botter les fesses.
____________________________________________________________________________________________________A cette époque, je ne pensais qu'à bosser. Je ne sais pas si maintenant je regrette mon comportement d'autrefois. Je n'ai pas changé ma façon de me comporter. Du moins je le crois. Non ?
Sa mort m'affecte, serais-je capable de l'admettre un jour ? Même moi je ne peux répondre. On me dit plus irritable, plus sérieux, plus sec et tant d'autres qualificatifs péjoratif qu'on pourrait trouver. Et pourtant, ce n'est pas les situations comiques qui manquaient à l'organisation.
Je suis chiant, je sais. Je n'ai plus l'occasion de rire. Je m'en fiche après tout. Le silence est un mur qui m'entoure et dont je me contente. La fumée s'échappe du bout de ma cigarette. J'ai commencé à fumer. Depuis son départ.
Quel type agaçant. Je n'aimais pas les types dans son genre.
Il était devenu un ami, et il maintenant, il n'est plus là.